Proposition d’action visant à renforcer la démocratie et l’efficacité opérationnelle sur le territoire des communes du Grand Avignon

Intercommunalité et fusion de communes – Rapport d’information

Table des matières

Introduction 2

I) Caractéristiques et limites de l’intercommunalité 2

a) La procédure de création 2

b) L’uniformité des conseils communautaires 2

c) Une dépossession et une opacité démocratique… 3

d) …perçue par les citoyens 4

e) Les surcoûts administratifs 4

f) Complexité territoriale et insécurité juridique 4

g) Etalement urbain et économies d’échelle 5

II) La fusion de communes comme solution 6

a) Résorber l’émiettement communal 6

b) L’enjeu démocratique 7

c) Législation, incitation et intercommunalités 7

1) Législation : un état des lieux 7

2) Les incitations financières 8

3) Communes nouvelles et intercommunalités 8

4) Un état des lieux géographique 8

III) Fusion de communes : Modalités pratiques et études de cas 9

a) La réforme danoise de 2007 9

b) Les réformes des Lander allemands 10

1) Un historique 10

3) Bilan et impact budgétaire 11

c) Retour en France: une étude de 6 cas de communes nouvelles 12

1) Un bilan synthétique global 12

2) Une étude comparative 13

a) Sur le nombre de communes 13

b) Sur la population regroupée 14

3) Précision sur les modalités juridiques 15

a) Concertation et démocratie : l’exemple à ne pas suivre 15

b) Les procédures de fusion 16

c) Réforme constitutionnelle et droit à la différenciation 17

ANNEXES 18

Annexe 1 : dépenses de personnel du secteur communal (1978-2008) 18

Annexe 2 : taux annuel moyen d’évolution des dépenses locales (communes, groupements et ensembles intercommunaux), en %, 2009-2014 19

Annexe 3 : localisation des communes nouvelles étudiées par l’AMF et la Banque des Territoires 20

Annexe 4 : quelques précisions sur ces communes 20

Annexe 5 : Caractéristiques des communes déléguées de la commune nouvelle de Baujé-en-Anjou 21

Annexe 6 : Localisation des communes déléguées de la commune nouvelle de Baugé-en-Anjou 22

Annexe 7 : caractéristiques des communes du Grand Avignon 23

Annexe 8: localisation des communes du Grand Avignon 24

Introduction

En France, le maire est l’élu de référence pour les citoyens. Il est une figure historique du pouvoir local, souvent enraciné sur son territoire, accessible des administrés, et directement confronté aux problématiques locales. L’échelon municipal, malgré les processus d’étalement urbain, de segmentation des villes, et d’intercommunalité, reste l’échelon de pouvoir le plus proche des citoyens. La Mairie y est un repère essentiel, non seulement parce que les habitants s’y rendent en cas de problème, mais aussi parce qu’il s’agit de l’institution qui tend à promouvoir les expériences de démocratie participative: budgets participatifs, débats d’initiative locale, etc.

Dans un tel contexte, un projet politique qui chercherait à amoindrir le rôle du maire, à désincarner le pouvoir communal, et, plus encore, à techniciser les enjeux locaux en les déconnectant du débat démocratique, apparaît vraisemblablement comme un non-sens. Ce sont pourtant les conséquences du fait intercommunal. La totalité des communes est aujourd’hui rattachée à un Établissement Public de Coopération Intercommunal (EPCI) à fiscalité propre.1 Ce processus de regroupement est amorcé et accéléré dans les années 1990 et 2000, et s’est achevé il y a quelques années. 

I) Caractéristiques et limites de l’intercommunalité

a) La procédure de création

Si l’association ne peut se faire sans le consentement des communes concernées (le préfet peut être à l’initiative), il faut d’ores et à déjà souligner que cela ne signifie pas que toutes les communes sont sur un pied d’égalité face à la procédure de création de l’EPCI. En effet, pour entériner cette création, les communes sont consultées à la majorité qualifiée, et seule la commune dont la population est la plus importante dispose d’un veto2. Les plus petites communes sont donc prises en étau. D’une part, elles sont économiquement incitées à intégrer un EPCI. En effet, dans un contexte de gel voire de baisse des dotations de l’État, la mutualisation de certaines charges paraît indispensable à la survie des petites communes, ainsi qu’à leur capacité à assurer un service public de qualité. D’autre part, elles sont en plus marginalisées dans la procédure d’intégration. 

b) L’uniformité des conseils communautaires

L’intercommunalité a de nombreuses autres limites. Tout d’abord, les modalités de désignation des conseillers communautaires créent de l’uniformité sociale au sein de l’organe délibérant. Les maires y sont vice-présidents de droit. Les femmes étant moins souvent maires dans les communes de plus de 1000 habitants (on dénombre seulement 17 % de femmes parmi les maires et 29 % parmi les premiers adjoints3), cela aboutit à une sur-représentation des hommes au sein des exécutifs communautaires. Ainsi, seules 8 % de femmes président une intercommunalité. 

Ce phénomène est aggravé par le fait que les listes candidates aux élections municipales, dans les communes de moins de 1000 habitants, ne sont pas soumises à une règle de parité. Or, dans ces petites communes, la désignation des conseillers communautaires se fait dans l’ordre des conseillers élus, il n’y a pas de « fléchage » comme c’est le cas dans les communes plus importantes. Ceci aboutit à une sur-représentation des hommes hautement qualifiés dans les délégations communautaires des petites communes, qui y voient logiquement une manière de « peser » au sein d’organes intercommunaux trop grands pour elles.

c) Une dépossession et une opacité démocratique…

Ce manque de diversité sociologique dans les instances communautaires, en dehors du problème de  parité, pose un problème de transparence. En effet, l’action intercommunale reposant davantage sur une logique de projet, sa légitimité repose moins sur une base démocratique que sur l’expertise. C’est ce qu’observent Fabien Desage et David Guéranger : « Dans les arènes feutrées des exécutifs intercommunaux, sont particulièrement valorisés les savoirs techniques, managériaux et gestionnaires, censés s’ajuster aux prérogatives et à la rhétorique du « projet » qui caractérisent ces structures. »4 Le conseil communautaire est donc bien souvent un organe de techniciens, affranchis des clivages partisans, fonctionnant sur le mode du compromis et du consensus.

Ce manque de transparence est d’autant plus problématique que les municipalités ont progressivement transférées leurs compétences aux structures intercommunales. Les candidats aux Mairies se retrouvent donc dans une position étrange. Ils constituent leurs programmes municipaux sur des promesses en matière de transports, d’urbanisme, ou encore d’environnement et de cadre de vie, alors que ces compétences sont le plus souvent décidées et exercées au niveau intercommunal. 

Ce transfert de compétence n’est pas un problème pour une commune dont le maire est également président de l’EPCI de rattachement. Ce n’est pas non plus un problème dans le cas d’un petit regroupement intercommunal où les positions politiques sont similaires entre les différents maires. Mais ce dernier cas de figure est extrêmement rare, dans un contexte de massification intercommunale : chaque EPCI regroupe en moyenne 27 communes, et le nombre d’EPCI est en constante diminution depuis la réforme territoriale de 2010. Si bien que la taille de chaque EPCI, en nombre de communes intégrées comme en nombre d’habitants, n’a fait qu’augmenter sur la période.

Ceci signifie que pour chaque commune, la probabilité que le maire et le président de l’EPCI de rattachement (qui, lui, n’est pas élu au suffrage universel direct) soient de couleurs politiques différentes, est d’autant plus forte. Ainsi, imaginons le cas d’un EPCI de taille moyenne ou grande (communauté d’agglomération ou communauté urbaine) où la ville-centre est gouvernée par une majorité de gauche. Si la droite est suffisamment représentée dans les conseils municipaux des communes voisines, les délégations communautaires de ces communes seront marquées à droite. Par suite, il y a de fortes chances pour qu’un président d’intercommunalité de droite soit élu, en contradiction avec le programme politique du maire de la ville-centre.5

Le déficit démocratique est donc double. Non seulement les maires sont privés de leurs compétences au profit d’organes techniciens, mais en plus le citoyen n’a pas la possibilité de se prononcer en faveur de tel ou tel programme intercommunal, puisqu’il n’élit pas directement le président du groupement intercommunal. 

d) …perçue par les citoyens

Ainsi, selon un sondage de l’Association des Maires de grandes villes de France (AMGVF) de 2006, « 46 % seulement des administrés connaissent le nom du président de la communauté à laquelle appartient leur commune. »6 Une enquête IFOP plus récente (2018) montre que 70% des sondés ne s’estiment pas suffisamment informés de l’action de leur intercommunalité7. En outre, 93% des sondés souhaiteraient que les candidats à la présidence de l’intercommunalité se déclarent clairement avant les élections locales. Ils sont autant à souhaiter que les grands projets et domaines de compétences de l’échelon intercommunal soient placés au cœur des débats et des programmes aux élections municipales. Ces données, si elles ne remettent pas en cause l’existence ni le rôle des intercommunalités, expriment clairement un déficit de transparence vis-à-vis des acteurs intercommunaux et de leur action.

e) Les surcoûts administratifs

En plus de cela, le développement de l’intercommunalité, loin de rationaliser la dépense publique  (le projet de départ est pourtant de «faire ensemble ce que chacun ne peut faire seul»), est accusé de créer des surcoûts pour la collectivité. Dès 2005, un rapport de la commission d’enquête sur l’évolution de la fiscalité locale de l’Assemblée nationale montrait les effets haussiers de l’intercommunalité sur la pression fiscale locale, ainsi que sur les frais de personnel, par le maintien de certains postes en doublon entre commune et EPCI.8 Des enquêtes plus récentes ont montrées que la logique augmentation des frais de personnel des EPCI ne s’est pas accompagnée d’une stagnation des frais de personnel des communes (voir Annexes 1 et 2). Le sondage de l’AMGVF (2006) évoqué précédemment faisait d’ailleurs apparaître que 59% des administrés dénoncent des coûts supplémentaires et des complications liés à l’intercommunalité. Et selon 65% des personnes interrogées par l’IFOP en 2018, « l’intercommunalité tend à une hausse des impôts locaux. »

f) Complexité territoriale et insécurité juridique

Dans leur Livre noir de l’intercommunalité publié en 2005, deux députés ont pointé du doigt l’insécurité juridique causée par la complexité des périmètres intercommunaux ainsi que la restriction de liberté des communes.9 Cette problématique de la complexité a été confirmée depuis lors, l’intercommunalité s’ajoutant au sein d’un « mille-feuille territorial » déjà difficilement lisible. Ainsi, la Commission des lois du Sénat a à nouveau constaté, en 2017, « une clarification insatisfaisante des compétences entre collectivités ».10 L’enchevêtrement des compétences des nouvelles intercommunalités “XXL” va à l’encontre de la clarté de la répartition des compétences. Cet empilement des structures est à l’origine de la confusion des responsabilités et peut être à l’origine d’un affaiblissement de la démocratie locale. Il présente le risque d’éloigner les élus communaux, surtout des petites communes, des centres de décision politique et rend encore moins lisible l’organisation territoriale. Ainsi, selon le sondage IFOP (2018) évoqué précédemment, 62% des personnes interrogées approuvent l’affirmation: « L’intercommunalité tend à complexifier la gestion locale et non à la simplifier ».

Le malaise des élus locaux est tel qu’en juillet 2019, un maire a obtenu la première séparation d’un groupement intercommunal11: le tribunal administratif de Limoges a annulé l’arrêté qui, en 2016, avait autorisé la création de la communauté de communes Monts et vallées Ouest Creuse (MVOC), regroupant trois communautés de commune du département de la Creuse.

g) Etalement urbain et économies d’échelle

Au problème de la complexité administrative et territoriale s’ajoute la question de l’aménagement du territoire et de l’étalement urbain. Selon une étude de France Stratégie de 2017 : « sur la période 2006-2013, les créations d’emploi se concentrent sur les aires urbaines de plus de 500 000 habitants », et « les territoires dans la périphérie des métropoles apparaissent nettement moins dynamiques, en matière d’emplois, que les couronnes périurbaines ». Autrement dit, ce sont les métropoles, et pas les EPCI de taille intermédiaire, qui captent l’essentiel des emplois.

Soulignons toutefois les avantages produits par le développement de la coopération intercommunale depuis les années 1990, accélérée et institutionnalisée dans les années 2000 et 2010. Par les transferts de compétences obligatoires, les EPCI ont pris en charge des actions pour lesquelles l’échelon communal n’est pas forcément le plus adéquat : c’est par exemple le cas du développement économique, de l’aménagement du territoire ou de l’urbanisme. Ces compétences nécessitent de mobiliser une expertise particulière, ainsi que des logiques de contrat et de projet avec les acteurs économiques, dans le cadre d’une gouvernance territoriale souple et horizontal. L’échelon intercommunal, par son périmètre d’action et la technicité de ses acteurs, paraît être l’échelon pertinent pour répondre aux problématiques de vitalisation du commerce, d’attractivité économique ou de promotion du tourisme.

Il est aussi des compétences qui ne peuvent tout simplement pas être prises en charge par les communes les plus modestes. C’est le cas de la gestion de l’eau et de l’assainissement, qui nécessitent de vastes infrastructures, et qui sont désormais des compétences obligatoires des EPCI. C’est également le cas de la gestion du cadre de vie et de la voirie, qui sont des compétences facultatives pour les EPCI. Enfin, pour ces petites communes rurales, l’intercommunalité est un moyen crucial de connexion avec le milieu urbain, en particulier dans le cas des EPCI de grande taille : communautés d’agglomération et communautés urbaines.

II) La fusion de communes comme solution

Si l’on souhaite regagner en proximité, sans pour autant tirer un trait sur les économies d’échelle permises par la mutualisation intercommunale, la fusion des communes proches et interdépendantes paraît être une solution adéquate. Cela serait générateur de simplification, d’économies, de rapprochement entre citoyens et services publics, et surtout de transparence démocratique. Pour organiser ces fusions, une collaboration avec les EPCI serait nécessaire : il ne s’agirait pas de laisser à l’écart des petites communes dépendantes de leur EPCI. Mais surtout, l’enjeu est de permettre aux communes fusionnées de conserver leurs particularismes culturels et historiques.

a) Résorber l’émiettement communal

Et pour cause, dans un pays qui compte environ 35 000 communes (34 968 au 1er janvier 2020), la réduction de l’émiettement communal paraît une nécessité. En 2015, la France regroupe à elle seule un tiers des communes de l’Union européenne (UE).12 Nos voisins européens ont d’ailleurs drastiquement réduit leur nombre de communes entre 1950 et 2007: -41% en Allemagne, -79% au Royaume-Uni, -87% en Suède, tandis que sur cette période, le nombre de communes français n’a baissé que de 5%13. Notons que ce nombre a tout de même été réduit de manière accélérée ces dernières années: il a baissé de 1324 communes depuis le début des réformes territoriales de 2014-1514.

Ceci dit, pour se rendre compte du particularisme français, ce n’est pas tant la quantité absolue de communes qu’il faut observer et comparer, mais la population moyenne ainsi que la superficie moyenne par commune. Ainsi, une commune française compte en moyenne environ 1900 habitants par commune : c’est environ 6700 en Allemagne, 5700 en Espagne, 34 000 en Suède. Une commune française s’étale sur environ 15km² : c’est environ 31km² en Allemagne, 62km² en Espagne, 25km² au Royaume-Uni15. A population et superficie à peu près comparables, les communes françaises sont donc beaucoup moins peuplées et moins étalées que dans les autres pays d’Europe.

Cet émiettement communal français ne serait pas un problème s’il était source d’efficience pour les finances publiques. Seulement, les dépenses de fonctionnement des collectivités locales ont triplé depuis 198316, et on a vu que les frais de personnel des communes ont augmenté à un rythme supérieur. (Annexe 1) En particulier, entre 2002 et 2011, les communes se sont dotées de 188 000 agents supplémentaires. 

b) L’enjeu démocratique

Mais en dehors de la question budgétaire, l’agrandissement des communes existantes par la réduction de leur nombre est un enjeu crucial pour la vie démocratique locale. En 2014, dans 62 communes, aucun candidat ne s’est présenté aux élections municipales17. Dans 3 032 communes, une seule liste de candidats était proposée aux électeurs. 18 Alors que la décentralisation devait renforcer l’implication citoyenne, le taux d’abstention aux élections municipales n’a jamais été aussi élevé, augmentant de 20 points entre 1977 et 2014.19 Par la fusion de communes, il s’agit donc de rendre le pouvoir aux citoyens, par l’intermédiaire des autorités municipales qu’ils élisent. Redonner du sens aux élections municipales, cela passe par le fait de rendre aux maires leurs compétences, et donc les moyens de leurs actions. Cela leur permettrait de proposer des programmes transparents et applicables aux électeurs.

c) Législation, incitation et intercommunalités

1) Législation : un état des lieux

La volonté du législateur de réduire le nombre de communes en France date de 1971. La loi Marcellin avait alors créé le statut de « commune associée » : celles-ci conservaient leur territoire, leur dénomination, ainsi qu’un maire délégué. Il ne s’agissait donc que d’une « fusion-association ». A côté de cela, une « fusion simple » était également possible, les communes fusionnant étant alors supprimées et dotées d’une annexe à la mairie. Ces dispositions ne connurent pas un grand succès : on a vu que l’émiettement communal français ne s’était réduit que très peu comparativement à nos voisins européens.

Le statut de « commune nouvelle » a été créé avec la réforme territoriale de décembre 2010 : il s’agit d’une commune issue de la fusion de plusieurs communes précédentes. Le terme « nouvelle commune » ne recouvre pas forcément la même signification : il peut concerner notamment les communes créées suite à un regroupement selon l’un ou l’autre dispositif de la loi de 1971. (fusion-association ou fusion simple)

Cela dit, depuis 2015, toutes les communes nouvellement créées en France prennent le statut de « commune nouvelle ». Les anciennes communes qui la composent forment des communes déléguées. Chaque commune déléguée possède une annexe de la mairie où sont établis les actes de l’état civil. Le conseil municipal de la commune nouvelle peut cependant décider de la suppression d’une ou de plusieurs communes déléguées. Il s’agit donc d’un statut relativement souple.

2) Les incitations financières

Au plan financier, les communes sont incitées à fusionnées depuis la loi Pélissard de 2015 qui garantissait aux nouvelles communes de moins de 10 000 habitants un niveau de dotation égal à la somme de ce qu’elles recevaient séparément20. Ce mécanisme incitatif a été prolongé aux nouvelles communes créées jusqu’au 1er janvier 202121. Il a même été élargi, puisque le seuil de population pour bénéficier d’une dotation garantie a été porté à 100 000 habitants. Pour les nouvelles communes qui comptent entre 1000 et 10 000 habitants, cette dotation est même majorée de 5%. Plus encore, des avantages spécifiques sont prévus pour les nouvelles communes de moins de 15 000 habitants regroupant toutes les communes d’un ou de plusieurs EPCI. Enfin, virage important, la loi Gatel adoptée en juillet 2019 autorise les communes nouvelles regroupant toutes les communes d’un ou de plusieurs EPCI à ne pas adhérer à un autre EPCI. Elles exercent alors simultanément les compétences communales et intercommunales. 

3) Communes nouvelles et intercommunalités

La législation des cinq dernières années marque donc un infléchissement en faveur de la fusion de communes et en défaveur de l’intercommunalité. Cela dit, fusion communale et intercommunalité peuvent fonctionner de concert. Par la fusion, une nouvelle commune peut même améliorer sa position dans le rapport de force à l’échelle communautaire, puisqu’en s’agrandissant, elle gagne des sièges au sein du conseil communautaire. A ce sujet, le maire de la commune nouvelle de Sèvremoine, Didier Huchon (DVD), témoigne :

« Au niveau de l’agglomération, ça nous donne une puissance politique et économique qui permet de discuter directement des dossiers. Nous, les petits, on n’a jamais été aussi bien représenté que depuis qu’on est en commune nouvelle. »22

En effet, sa « commune nouvelle » est issue de la fusion des dix anciennes communes de la communauté de communes de Moine et Sèvre, elle-même intégrée à la communauté d’agglomération de Mauges communauté, regroupant 64 communes. Cet enjeu de représentation au conseil communautaire est d’autant plus important qu’environ 60% des communes françaises comptent moins de 700 habitants.23 Par exemple, dans la communauté d’agglomération du Grand Avignon, la moitié des communes membres ne sont représentées à hauteur que d’un seul siège sur 60 au conseil communautaire. La ville d’Avignon en possède 30.

4) Un état des lieux géographique

Pour toutes ces raisons, la création de communes nouvelles s’est accélérée durant la décennie passée : Entre 2010 et 2019, 2 508 communes se sont regroupées pour créer 774 communes nouvelles.24 Celles-ci sont plus nombreuses dans le quart Nord-Ouest de la France et plus particulièrement dans le Calvados, l’Eure, le Maine-et-Loire et la Manche. 27% d’entre elles comptent entre 1000 et 2000 habitants, ce qui reste peu élevé, mais il faut prendre en compte la très faible population des communes qui font le choix de fusionner : 32% d’entre elles comptent entre 200 et 500 habitants. Pour ces très petites communes, la fusion est donc un agrandissement non-négligeable. Toutefois, la majorité (environ 60%) des communes nouvelles ne regroupent que deux ou trois communes. 

En l’état actuel des choses, la commune nouvelle apparaît donc surtout comme un outil de montée en puissance pour de petits acteurs locaux du milieu rural. Ce dispositif doit donc être encore étendu, pour éveiller l’intérêt de villes de plus grande taille. Ceci dit, certaines communes nouvelles comptent une population assez nombreuse : 126 000 habitants à Annecy (sur laquelle nous reviendrons), 80 000 habitants à Cherbourg-en-Cotentin, 68 000 habitants à Évry-Courcouronnes. D’autres communes nouvelles ne se distinguent pas par leur population mais par le nombre de communes qu’elles ont rassemblées : 22 communes déléguées à Livarot-Pays-d’Auge, 20 communes déléguées à Souleuvre en Bocage.

A priori, la fusion de communes est donc une solution pertinente pour répondre aux problèmes de complexité administrative et d’opacité démocratique soulevés précédemment. Mais une analyse globale ne permet pas de connaître l’impact des fusions de commune sur la qualité des services publics locaux, sur l’étalement urbain, ou encore sur de possibles économies budgétaires. Chacune de ces problématiques dépend de la structure géographique et urbaine de chaque territoire, ainsi que des modalités de la fusion : combien de communes associées, et lesquelles? A l’intérieur de quel périmètre? Autour de quelles infrastructures ? Pour répondre à ces questions, une analyse au cas par cas est nécessaire.

III) Fusion de communes : Modalités pratiques et études de cas

a) La réforme danoise de 2007

Le Danemark est un exemple de pays ayant réussi à mettre en œuvre une réforme de simplification territoriale, le nombre de communes danoise étant passé de 271 à 98 en 2007. Les 13 départements y ont été remplacés par 5 régions, et la quasi-totalité des communes compte plus de 20 000 habitants. Si le Danemark n’est pas comparable à la France sur le plan des proportions, l’intention de sa réforme est néanmoins à suivre, car il s’agit là d’une réforme d’adaptation du découpage administratif aux bassins de vie des habitants.

Toutefois, selon le baromètre des réformes institutionnelles locales en Europe25, le succès budgétaire de la réforme danoise est à nuancer : si les coûts administratifs au sein de communes regroupées ont bien diminué, tout comme ceux liés à l’entretien (au kilomètre) des routes, les frais de gestion et de mise en œuvre des services public locaux (crèches, écoles, soins aux personnes âgées, etc.) ont en revanche augmenté.

b) Les réformes des Lander allemands

Dans l’organisation territoriale allemande, les communes (qu’il s’agisse de « ville » ou de « commune » à proprement parler, en fonction du nombre d’habitants) disposent d’une autonomie administrative, sans pour autant être considérées comme des entités de gouvernement local.26 Elles sont comprises dans des Kreise, que l’on peut traduire par « arrondissement » ou « mini-département », bien que les villes de taille moyenne et grande cumulent en fait les statuts et compétences de ville et d’arrondissement. Chaque Land (région) allemand dispose du pouvoir d’organiser sa structure territoriale, et de l’imposer aux collectivités locales. Les communes n’ont donc pas la compétence de définir leur propre périmètre.

1) Un historique

Au cours des années 1960, les Lander de Rhénanie du Nord-Westphalie et de Hesse ont poursuivi une stratégie de fusions à grande échelle en créant des communes élargies, dites communes unitaires. Les autres Lander ont plutôt opté pour l’intercommunalité. Les structures intercommunales allemandes ne disposaient alors pas d’une fiscalité propre : leur budget dépendait des communes-membres et de leur Land. Les Land qui ont opté pour une telle approche ont tout de même vu une forte réduction de leur nombre de communes : -71% en Bavière, par exemple. Les arrondissements se sont également vu regroupés de manière radicale.

Dans les années 1990, les nouveaux Lander issus de l’ex-RDA, qui ont hérité d’environ 7 500 communes dont 87 % comptaient moins de 2 000 habitants, ont dû, à leur, tour, se réformer. Dans un premier temps, ils n’ont cependant pas choisi de recourir à la fusion de communes, (à l’exception du Land de Saxe), mais à une stratégie plus intercommunale. En revanche, ces Lander de l’Est ont massivement réduit leur nombre d’arrondissements. Ce n’est qu’en 2002 que le nouveau Land de Brandebourg décide d’engager une réforme des communes. Leur nombre a baissé de 70%, un tiers des communes regroupées devant des communes unitaires. 

En 2011, le nouveau Land de Saxe-Anhalt suivait le même chemin. La même année, le Land de Mecklembourg-Poméranie engage une vaste réforme de fusion de ses arrondissements. Celle-ci rencontra une vive opposition, de la part des citoyens, des élus locaux mais surtout des juges constitutionnels, qui obligea le Land à amender sa réforme, divisant tout de même par deux le nombre d’arrondissements. Quelques années après, le nouveau Land de Brandebourg cherchait également à fusionner radicalement ses arrondissements. Il a alors massivement recouru à des procédures de consultation et de concertation, afin de ne pas se heurter à une impasse juridique, comme ce fut le cas pour le Land de Mecklembourg-Poméranie. La réforme a toutefois provoqué un référendum d’initiative populaire à son encontre, en vain. 

En 2014, le nouveau Land de Thuringe se lance dans une réforme communale radicale controversée. Il s’agit alors de remplacer les structures intercommunales par des communes unitaires, démarche novatrice qui pourrait devenir celle de la France à en juger par la législation récente. Comme en Brandebourg, le projet s’est heurté à l’opposition des collectivités locales et des citoyens, qui ont lancé un référendum d’initiative populaire. Le projet a donc été assoupli. 

Dans ce cas comme dans les autres cas de réformes susmentionnées, il faut souligner que les oppositions ne sont pas tant cristallisées par la perspective du redécoupage administratif, ou par la fusion de communes, mais plutôt par le changement de statut des plus grandes villes. En effet, les réformateurs avaient à chaque fois prévu d’incorporer des grandes villes dans un autre arrondissement, changeant ainsi leur statut de ville-arrondissement en arrondissement. C’est sur ce point que les concessions ont été le plus souvent faites, permettant in fine une application du projet. Il est d’ores et à déjà intéressant de noter que ce problème ne se poserait pas en France : seules les métropoles (au nombre de 21) se rapprochent d’un statut qui cumule les caractéristiques d’une commune et d’un département. Or, ces métropoles ne seraient pas affectées par un projet de fusion communale à grande échelle, dans la mesure où un tel projet se concentrerait sur l’émiettement des petites et moyennes communes.

3) Bilan et impact budgétaire

Quoi qu’il en soit, en 2016, une expertise commissionnée par le Land de Thuringe parvient à la conclusion « qu’il existe une corrélation claire et positive entre la taille et la performance des communes et des arrondissements. Toutefois ces effets ne se manifestent qu’à moyen terme ni à grande échelle »27. Il semble toutefois exister une taille critique au-delà de laquelle les élus locaux peuvent être gênés dans l’exécution de leur mandat, pénalisant ainsi la démocratie locale. Sur le plan démocratique, il est toutefois pertinent d’agrandir les communes. Ceci permet d’amoindrir les phénomènes de clientélisme et de réduire les probabilités d’absence de candidat aux élections municipales. 

Enfin, il faut mentionner le modèle de la « commune fédérée », inventé dans le Land de Rhénanie Palatinat et introduit ensuite dans quelques autres Lander. Il s’agit d’un modèle de commune « à deux niveaux », qui combine la proximité d’une petite commune, avec l’efficience d’une structure intercommunale, la spécificité étant que les conseillers intercommunaux sont élus. Si cela permet a priori de réduire le déficit démocratique de l’organe intercommunal, on l’imagine mal appliqué à la France, qui compte déjà de nombreuses élections et de nombreuses couches de compétences entre les différentes collectivités. Toutefois, une expertise de 2012 commissionnée par le Land de Brandebourg recommande de coupler ce modèle à celui des communes unitaires, c’est à dire des grandes villes qui exercent à la fois les compétences d’une municipalité et d’une intercommunalité.28

On peut résumer cette recommandation en deux conclusions :

  • lorsque plusieurs communes peuvent être fusionnées en une seule grande entité, elles doivent non seulement l’être, mais en plus remplacer la structure intercommunale existante (c’est le sens de la loi Gatel de 2019)
  • si les communes, pour une raison culturelle, géographique ou économique, ne peuvent pas être fusionnées, alors la coopération intercommunale doit être approfondie, mais cela implique de démocratiser l’instance communautaire en élisant ses conseillers au suffrage universel direct.

Appliqué à la France, cela aboutirait en quelque sorte à une organisation locale « à deux vitesses ». Les « élections intercommunales » n’auraient lieu que sur les territoires où la fusion communale, qui ne peut se faire que sur la base du volontariat, n’est pas possible. Ceci concernerait essentiellement les territoires ruraux, peu densément peuplés, sur lesquels un grand nombre de communes sont éparpillées, de sorte que la coopération intercommunale est plus pertinente que la création d’une commune nouvelle. Cette organisation devrait passer par une nette clarification du partage des compétences entre instances communales et intercommunales, puisque l’exécutif de l’EPCI serait désormais élu directement par les citoyens.

Pour ce qui concerne l’impact budgétaire des réformes allemandes, l’étude européenne susmentionnée mentionne un allègement du budget des collectivités (les dépenses sociales sont désormais partiellement prises en charge au niveau fédéral), une amélioration des services des Lander, ainsi qu’une réduction des coûts administratifs, au niveau régional comme local.

c) Retour en France: une étude de 6 cas de communes nouvelles

L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, en partenariat avec Territoires Conseils (un service Banque des territoires), a engagé la réalisation d’une étude approfondie sur un panel de communes nouvelles représentatives29 afin de répondre à une question simple : quels sont les résultats concrets de la création d’une commune nouvelle sur l’action communale ?30

Précisons d’emblée que les motivations des communes regroupées ne se limitent pas à la question des économies budgétaires et de l’efficacité du service public. Il s’agit également de dynamiser leur territoire, de s’adapter à l’élargissement des autres périmètres d’action territoriale (intercommunaux et régionaux), et de développer de nouvelles synergies entre territoires. Pour les élus, la réalisation d’économies et le dégagement de ressources supplémentaires en fonctionnement ne faisaient pas partie des objectifs principaux. En revanche, la poursuite des investissements et leur planification sont des enjeux importants, souvent à l’origine même de la création de la commune nouvelle.

1) Un bilan synthétique global

  • Les six exemples étudiés font ressortir une amélioration, un développement voire la création de services à la population. Ceci est notamment permis par l’harmonisation sur le niveau de service le plus élevé préexistant et la mutualisation des moyens techniques et en personnel. Le nouveau cadre financier (issu du regroupement budgétaire) a permis d’assumer les coûts supplémentaires liés à l’harmonisation des services et les mutualisations. De ce fait, les économies effectuées n’ont pas été directement traduites par une amélioration de la situation budgétaire, voire ont pu entraîner une augmentation de la dépense publique. Si certaines communes ont pris le parti d’optimiser leurs services et d’améliorer leur situation financière, d’autres ont profité de l’ensemble des gains obtenus pour les réinvestir et redynamiser leur territoire.
  • La commune nouvelle renforce la place des services supports (ressources humaines, finances), conforte la spécialisation des équipes, améliore leurs conditions matérielles et humaines. L’acceptation du projet de commune nouvelle par les agents est un facteur clé de sa réussite puisque ceux-ci constituent des « relais » importants auprès de la population. L’amélioration de leurs rémunérations dans un contexte de gel du point d’indice des fonctionnaires, l’amélioration de leurs conditions de travail (rupture de l’isolement), mais aussi la montée en compétence des agents ou encore la prise en charge de nouveaux services clés (comme l’urbanisme) sont généralement démontrées. Néanmoins, la mobilité géographique et la construction de nouvelles équipes apparaissent parfois comme une contrainte.
  • Le projet politique de développement territorial autour des écoles, de l’économie ou du tourisme est une constante.  L’attractivité – grandement améliorée – de la commune nouvelle vis-à-vis des investisseurs est un réel atout dans un contexte de compétition entre les territoires. La création de la commune nouvelle s’est néanmoins traduite par une limitation du nombre de dossiers de demandes de subventions possibles.
  • La quasi-totalité des communes observées connaissait des tensions financières au sein de leur section de fonctionnement.  Le regroupement en commune nouvelle a permis d’éloigner la contrainte de recourir, en dernier ressort, au relèvement des taux d’imposition des taxes locales. Les économies dégagées par la mutualisation des moyens et l’absence d’écrêtement de la DGF participent de ce mouvement.  Les surplus issus du pacte de stabilité ont permis d’absorber les surcoûts d’amorçage liés au regroupement et d’investir, autant en moyens humains qu’en équipements et services. Le dégagement de marges de manœuvre ne s’est pas fait au détriment des contribuables. Les communes ont limité les effets aux seules conséquences qui découlent de l’uniformisation des taux et abattements.

2) Une étude comparative

a) Sur le nombre de communes

Au-delà de ce constat général, et dans la perspective d’une fusion de communes au sein du Grand Avignon (16 villes sur 300 km2, 193 000 habitants dont 90 000 à Avignon), il convient de s’intéresser à la particularité de chacun des cas. Ainsi, aucune des 6 communes nouvelles étudiées ici n’avoisine le Grand Avignon sur le plan démographique : la plus peuplée des six, Baugé-en-Anjou compte environ 12 000 habitants (voir Annexe 5). Celle-ci est cependant comparable au Grand Avignon sur le plan géographique : Baugé-en-Anjou regroupe 15 communes, sur une superficie d’environ 260 km². Il est donc pertinent de s’intéresser à la structure territoriale de Baugé-en-Anjou avant et après fusion, de sorte à en induire des éléments sur la faisabilité d’une telle fusion à l’échelle de la communauté d’agglomération avignonnaise. 

La commune angevine se situe à 35km d’Angers (150 000 habitants) et 55km du Mans (140 000 hab), les deux agglomérations les plus proches. Le regroupement qui a donné naissance à Baugé-en-Anjou s’est fait en deux temps. En 2013, Baugé a intégré 5 communes voisines. Puis en 2016, le regroupement s’étend aux neuf autres communes de l’ancienne communauté de communes du canton de Baugé. Le tableau en Annexe 5 détaille les caractéristiques de chaque commune déléguée. La carte en Annexe 6 permet de se rendre compte de leur localisation.

On constate d’ores et déjà qu’il s’agit d’une fusion entre petites communes peu habitées (736 hab. en moyenne). Si la superficie moyenne des communes déléguée est légèrement au-dessus de la moyenne française (16km²), il faut prendre en compte que la présence de Clefs-Val-d’Anjou (elle-même issue de la fusion de deux communes), pèse sur cette moyenne. Cette configuration est marquée par une forte proximité entre les communes déléguée et le chef-lieu de Baugé. Cette proximité est renforcée par la présence de plusieurs axes départementaux qui irriguent le territoire. En particulier, le regroupement s’est essentiellement fait sur un axe Nord-Sud, relié par une route D938 désormais indispensable. 

Au regard de ces éléments, examinons à présent la situation avignonnaise. (Annexes 7 et 8) Sans surprise, les communes qui composent le Grand Avignon sont en moyenne beaucoup plus peuplées que celles de Baugé-en-Anjou , bien qu’il n’y aie pas une grande différence de superficie. Mais surtout, les communes de l’agglomération avignonnaise sont en moyenne bien plus éloignée et éparpillée par rapport à la ville-centre. La route D980 est particulièrement importante pour les communes au Nord d’Avignon : Roquemaure, Sauveterre, Pujaut, Villeneuve. Les routes N100 et D28 irriguent l’axe Est-Ouest : Morrières, Jonquerettes, St-Saturnin, etc. Dans la perspective d’une fusion communale, il paraît toutefois nécessaire de rapprocher ces communes en développant une offre de transports en commun, y compris en site propre.

b) Sur la population regroupée

Pour poursuivre notre questionnement sur la faisabilité d’une commune nouvelle à l’échelle du Grand Avignon, il faut désormais s’interroger sur la possibilité de regrouper près de 193 000 habitants. En effet, la seule commune nouvelle qui avoisine cette population est la commue nouvelle d’Annecy, qui compte près de 127 000 habitants en 2017. 

Celle-ci est issue de la fusion de six communes savoyardes: Annecy, Annecy-le-Vieux, Cran-Gevrier, Meythet, Pringy et Seynod. Seul le nom d’Annecy a été retenu pour nommer la commune nouvelle, ce qui donne à cette fusion une allure d’absorption. Cela dit, les témoignages des élus des communes déléguées ne laissent pas particulièrement transparaître un sentiment de dépossession ou d’annexion.31 Christiane Laydevant, maire déléguée de Meythet, affirme ainsi: “Ce n’est pas une des six façons de faire qui est la bonne. Il faut en inventer une septième avec la commune nouvelle. Il faut arriver à penser commune nouvelle et non commune par commune.”. Selon elle, “la commune nouvelle, c’est une plus-value en termes d’expertise et d’apports de services que nous, petite commune de 8 500 habitants, n’aurions pas eus en restant seuls“.

La plus grande difficulté pratique semble être l’harmonisation des contrats des agents municipaux: temps et conditions de travail, modalités de rémunération… Bernard Accoyer, le maire délégué  d’Annecy-le-Vieux reconnaît ces péripéties: “Les conséquences pour les agents avaient été sous-estimées. Cela a entraîné des changements de lieu de travail, de nature des missions, ça a bouleversé les habitudes de travail. Un certain nombre d’entre eux en ont souffert.” La spécialisation des tâches qui résulte de la mutualisation des effectifs municipaux nécessite donc un accompagnement et une prise en compte de la part des services de Ressources Humaines.

L’harmonisation des tarifs des services publics est également source de complexité. Sur le point précis des transports scolaires, Christiane Laydevant, note cependant que: “On n’a pas eu de levée de boucliers parce qu’on a avancé en concertation avec les parents d’élèves. Il faut expliquer, échanger, mais aussi savoir évoluer.“. La mise en place d’une grille de tarification unique, y compris à grande échelle, semble donc réalisable sous certaines conditions.

Enfin, l’indispensable harmonisation des taux d’impôts locaux nécessite un lissage sur longue période, comme ce fut le cas entre Annecy et les communes déléguées. Si les différents taux convergent vers une moyenne (ou légèrement en-dessous d’une moyenne, une fois les économies d’échelle prises en compte), alors on peut s’attendre à ce que la fiscalité locale des plus petites communes augmente légèrement. Le surplus de dotation globale généré par la fusion communale doit donc logiquement s’orienter vers ces petites communes, le temps que leur fiscalité converge.

3) Précision sur les modalités juridiques

S’il est un impératif qui ressort de cette étude, que ce soit au regard des réformes des Lander allemands, ou des fusions de communes récemment effectuées en France, c’est celui de la concertation et du respect des procédures démocratiques. La fusion communale a d’autant plus de chances de réussir qu’elle est menée en consultation, voire en collaboration avec un grand nombre d’acteurs. A contrario, une fusion impulsée par le haut et présentée aux citoyens et aux agents comme inévitable, a toutes les chances d’échouer.

a) Concertation et démocratie : l’exemple à ne pas suivre

C’est notamment ce qui s’est produit entre les communes de Troarn et Sannerville, dans le Calvados.  Dès 2017, les populations de ces deux communes avaient des réserves face au projet de fusion.32 Le maire de Saline, commune nouvelle d’environ 5400 habitants, avait alors choisi de ne pas consulter directement sa population. L’arrêté préfectoral en juillet 2016 portant création de cette commune nouvelle a finalement été annulé par le tribunal administratif de Caen, en décembre 2018. Six mois plus tard, lors d’une consultation publique, les habitants se prononcent à 62% contre « la poursuite de la commune de Saline ». Le 1er janvier 2020, la nouvelle commune de Saline est séparée, les anciennes communes de Troarn et Sannerville retrouvent leurs noms initiaux.

Interrogé sur cet échec, un habitant affirme : « Il n’y a eu aucune concertation. Je suis persuadé que si tout avait été fait dans les formes, ça aurait marché ».33 Alors que des problèmes de trésorerie et de hausse de la fiscalité locale avaient également été relevés au lendemain de la création de l’éphémère commune nouvelle, ce qui a marqué, c’est davantage le manque de concertation en amont du projet. Une habitante remarque aussi : « C’est bien d’avoir été consultés, mais cela aurait été mieux de l’avoir été avant ». En outre, il semble qu’aucun comité technique n’aie même été consulté avant la fusion, il s’agit donc d’un projet uniquement voulu et mené par les autorités préfectorales. Au vu des conséquences pour ces communes et ces habitants, sur le plan de la fiscalité, comme des services publics, ainsi que des tensions qui ont traversées l’opinion, Troarn et Sannerville sont un exemple de ce qu’il ne faut pas faire.

b) Les procédures de fusion34

La première procédure possible, la plus simple, correspond à une demande unanime des conseils municipaux. Aucune consultation de la population locale n’est alors exigée et un simple arrêté préfectoral suffit tant que les communes concernées sont toutes situées dans le même département. Si tel n’est pas le cas, la création de la commune nouvelle devient plus complexe puisqu’elle nécessite un décret en Conseil d’État après modification du territoire des départements, et le cas échéant des régions, ce qui implique l’accord des organes délibérants concernés ou le recours à une loi.

Les seconde et troisième voies reposent sur une volonté d’une majorité qualifiée des conseils municipaux des communes membres d’un établissement public de coopération intercommunal (EPCI) à fiscalité propre ou sur une demande exprimée par l’EPCI à fiscalité propre lui-même. Dans ces deux cas, la création de la commune nouvelle est subordonnée à l’accord des deux-tiers des conseils municipaux représentant plus des deux-tiers de la population totale de l’EPCI, suivi d’une consultation positive des personnes inscrites sur les listes électorales selon des modalités très contraignantes, et d’un arrêté préfectoral de création.

Enfin, la quatrième procédure entend répondre à une initiative du préfet. Les mêmes conditions concernant l’accord des conseils municipaux et le vote positif de la population sont toujours requises, mais chaque organe délibérant doit alors se déterminer sur la base d’un périmètre fixé par le préfet, dans un délai de trois mois après sa notification (sinon, le silence vaut acceptation). Ici, seule l’initiative préfectorale présente en réalité quelque nouveauté, d’autant plus qu’un arrêt du Conseil d’État est venu reconnaître au préfet une marge de manœuvre relativement importante en la matière : le préfet est en effet autorisé à prendre en compte, – certes dans le cadre d’une procédure différente et de conditions particulières –, « l’ensemble des éléments du dossier, notamment la volonté des conseils municipaux concernés, les résultats de la consultation et la pertinence du projet de fusion au regard de l’objectif de rationalisation de l’action administrative et de la bonne gestion des services publics ».

En cas de création d’une commune nouvelle en lieu et place de communes appartenant toutes à un même EPCI à fiscalité propre, la commune nouvelle remplace purement et simplement l’EPCI concerné et obtient fort logiquement le bénéfice de la clause générale de compétence. Elle profite également du transfert de plein droit de l’ensemble des biens, droits et obligations de l’EPCI. Elle se substitue à lui dans toutes ses délibérations et dans tous les actes qu’il a pu précédemment prendre. Elle lui succède dans tous les contrats qu’il a pu conclure, les cocontractants devant être simplement informés de cette substitution de personne morale par la commune nouvelle, sans que cela ne leur ouvre un quelconque droit à résiliation ou à indemnisation. Dans le même ordre d’idée, la création de la commune nouvelle s’effectue à titre gratuit et ne saurait engendrer le paiement d’une indemnité, d’un droit, d’une taxe ou autre. Enfin, en ce qui concerne les personnels de l’EPCI et des communes ainsi supprimées, ils sont naturellement, eux aussi, transférés à la commune nouvelle, dans les conditions de statut et d’emploi qui sont les leurs.

c) Réforme constitutionnelle et droit à la différenciation

Enfin, le droit à la différenciation des territoires amené par la réforme constitutionnelle présenté par le gouvernement en mai 2018 va dans le sens d’une plus grande autonomie des collectivités. Il s’agit notamment de reconnaître aux collectivités la possibilité d’exercer d’autres compétences que celles prévues par la loi. Par conséquent, cela rendrait d’autant plus légitime l’action d’une grande commune nouvelle qui prendrait en charge les compétences relevant normalement d’une communauté d’agglomération. 

Ce projet de révision constitutionnelle étant bloqué en première version à l’Assemblée nationale depuis l’été 2018, le gouvernement doit présenter un nouveau projet de loi au printemps 2020. Il s’agit de la loi dite « 3D » pour Décentralisation, Déconcentration, Différenciation. Ce texte est attendu de pied ferme par les responsables locaux, ainsi que par les représentants de collectivités locales, qui appellent majoritairement à une troisième étape de la décentralisation.

ANNEXES

Annexe 1 : dépenses de personnel du secteur communal (1978-2008)

Issu de : Sénat, Projet de loi de réforme des collectivités territoriales, étude d’impact, 2009

Annexe 2 : taux annuel moyen d’évolution des dépenses locales (communes, groupements et ensembles intercommunaux), en %, 2009-2014

Issu de : Navarre, Françoise. « L’évolution des dépenses de personnel au sein du bloc communal », Revue française d’administration publique, vol. 164, no. 4, 2017, pp. 803-820.

Annexe 3 : localisation des communes nouvelles étudiées par l’AMF et la Banque des Territoires

Issu de :  “Communes nouvelles: quels résultats concrets sur l’action communale?” , Banque des territoires, AMF, octobre 2019

Annexe 4 : quelques précisions sur ces communes 

Issu de : idem

Annexe 5 : Caractéristiques des communes déléguées de la commune nouvelle de Baujé-en-Anjou

Commune déléguée Population Superficie (km²) Distance au chef-lieu (km, vol d’oiseau) Liaison au chef-lieu
Baugé (chef-lieu) 3681 8,5

Regroupement 2013
Montpollin 214 4,5 5 D938
Pontigné 257 24 4,5 D141
Saint-Martin-d’Arcé 794 13 2,3 D195 puis D817
Le Vieil-Baugé 1266 28 1,7 D61
Regroupement 2016
Bocé 624 16 4,3 D458 puis D938
Chartrené 52 3,8 6 D60 ou D938
Cheviré-le-Rouge 961 36 8,6 D18
Clefs-Val d’Anjou* 1313 53,5 9,7 D938
Cuon 608 13 7 D938
Échemiré 595 17 5,3 D766
Fougeré 776 24 10,2 D82 puis D18
Le Guédeniau 357 18 6,5 D58
Saint-Quentin-lès-Beaurepaire 291 7,5 9,2 D138 puis D938
MOYENNE 736,81 16,68 5,74

*Commune nouvelle née en 2013 de la fusion de Clefs et de Vaulandry.

Annexe 6 : Localisation des communes déléguées de la commune nouvelle de Baugé-en-Anjou

Annexe 7 : caractéristiques des communes du Grand Avignon

Commune Population 2017 Superficie (km²) Distance au chef-lieu (km, vol d’oiseau) Liaison au chef-lieu
Avignon (chef-lieu) 91 921 65

Caumont-sur-Durance 4885 18 12,6 D25 puis N7 ou D6 puis D901
Entraigues-sur-la-Sorgue 8 472 16,5 11,5 D942 puis D225 puis D907
Jonquerettes 1507 2,5 10 D97 puis D28
Le Pontet 17 530 10,7 4,8 Avenue Charles de Gaulle
Les Angles 8 349 17,6 2,6 D900 ou N100
Morières-lès-Avignon 8 317 10,3 8 D901
Pujaut 4 136 23,5 6,6 D242 puis D980
Rochefort-du-Gard 7532 34 9,5 D287 puis N100
Roquemaure 5 481 26,2 11,5 D980
Saint-Saturnin-lès-Avignon 4 846 6,2 10 D28
Sauveterre 2 036 13 8,5 D980
Saze 2 037 12,6 10 N100
Vedène 11 259 11 8,4 D225
Velleron 2 960 16,4 18 D1 puis D901 ou D31 puis D28
Villeneuve-lès-Avignon 11 698 18,2 1,7 D980
MOYENNE 12060,38 18,86 8,91

Annexe 8: localisation des communes du Grand Avignon

Article rédigé par Lucas NOWICKI sous la direction de Sylvain IORDANOFF